Je publie ici des textes d'atelier - oui je participe aussi à des ateliers d'écriture,
je ne me contente pas de les animer !
des fragments, notes, suggestions de lecture etc.
Marie Duarte
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Marie Duarte
2025 /
Le rêve d'un langage commun Adrienne Rich Poésie
Les poèmes inédits d’Adrienne Rich, morte en 2012, arrivent enfin jusqu’au public français. Le rêve d’un langage commun regroupe un ensemble de poèmes divisés en trois parties. Une poésie dédiée au sentiments amoureux vécus avec une autre femme mais pas seulement. Ces poèmes entrelacent en permanence. Dans un très beau lyrisme, ils célèbrent le plaisir physique intense, la joie, la relation aiguë à soi et à l'autre. Ils lient aussi l’espace-temps de l’intime au vaste espace du politique et du social - leurs mouvements complexes et éminemment collectifs - . Une poète et théoricienne américaine à investir avec une grande attention.
Édition bilingue en anglais et en français / Traduction Shira Abramovich / Lénaïg Cariou / Editeur Arche / Collection Des Ecrits Pour La Parole / 2025.
texte d'atelier les ateliers numériques de Laura Vazquez https://lauralisavazquez.com
La montagne force d’en face regarde mon visage de vivante se mettre à l’abri. La montagne vigueur de ce vis-à-vis. Me tenant en contrebas sans vision planante imaginant que la fusion de deux visages c’est difficile et inutile. La montagne est loin de mon visage audace de la présence mais loin assez loin de mon visage. Mon visage et son rêve de fusion dans un autre visage mais c’est difficile et inutile. La montagne n’est pas inerte elle transmet la puissance et l’énergie à ce visage tombant sur l’herbe et se frottant à sa teneur humide. Le haut du massif sa hauteur planante ses bords ouvragés de mica. Mon visage bercé par le désir face à la montagne. Le vent pourrait accompagner l’émotion écrasée par le désir de voir un autre visage. Les interstices de la montagne resplendissants par leur quantité.
La fresque d’un visage rébellion perte amour néant harassement chagrin départ de feu diversité de points de vue naturels et artificiels tranquillité qui ne dure pas surface du temps. Faire le tri des choses et des idées faire le compte d’une existence réelle et imaginaire près d’un visage.
S’assoir près d’un visage sans dire un mot. Esprit bien formé pensées bien enfermées visage aussi plein que possible refrains de codes bribes réelles ou somnambuliques. Lueur sacrée du visage recherchant ce qui semble enfoui oublié remémoré.
Depuis le côté le visage apparait près du mien. Cette délicatesse d’apparition s’entend s’étend. L’ effacement des jours attendus quand le visage que l’on retrouve à ses côtés dévore le désir de son apparition.
L’ombre de la montagne. L’ombre du visage. La montagne n’est pas inerte non non.
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Il est beaucoup de fleurs, le pré si tu voulais, si tu pouvais entendre et encore mieux voir regarder, cet ordre de couleurs étendues exposées tu serais suspendue c’est sûr, affolée, les étendues violines pratiquement revenues les jaunes par dessus surgissent dans un écart de quelques journées, et la situation future est déjà en mouvement, entre hier et demain une étendue rougie est tout ce qui arrive, quelques nouveaux moments et le vide paraît s’annuler, suspendue c’est sûr tu serais même un peu affolée, jouant à cache cache avec ce qui ne se déplacerait pas, le pré en apesanteur et toi c’est sûr l’immersion de ton corps affolé, sous les états orangés le présent de chaque prise de ton oeil en accéléré, un écart de secondes provoque un nouveau parti pris, l’étendue spécifique du bord du pré sera bientôt bleuie puis un jour supplémentaire et le chemin sera barré, avant que tout ne se mette à fuir ce que tu ressentirais, inutile de le dire en un écart de seconde c’est sûr ton corps si solide serait englouti, son poids extraordinaire sous le ciel des nouvelles étendues, au-dessus de ce ciel un ciel vif fait tout accélérer, tout ce qui arrive recommence avec une nouvelle allure.
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J’ai tourné un oeil vers le haut étourdie les pieds entre les arêtes et les failles j’ai levé les bras au dessus de la tête j’ai incliné la branche doucement le bois rappelle la chair le bois creux qui plie j’ai vécu là une forte émotion je n’ai pas su exactement comment cela s’était produit j’ai vécu une situation fertile les reflets ont été nombreux j’ai pensé à ces récits très réfléchissants récits pour la plupart inclassables Les gangsters Les chiens Voyage avec deux enfants Mauve le vierge Les aventures singulières Fou de Vincent les chiens Les lubies d’Arthur L’homme blessé L’image fantôme Des aveugles Mes parents L’incognito Le paradis Les Lieux de la douleur Le Cœur de schiste Rue obscure Mentir Un jeune homme trop gros Plaisirs solitaires Les Couleurs de boucherie Aigle et poisson La Disparition de Maman Les Morts sentent bon Bufo bufo bufo L’Été : papillons, orties, citrons et mouches j’ai habité ces récits souvent j’ai pressenti et agi avec eux j’ai recherché la cause de leurs nombreux échos j’ai depuis développé une manière sacrée d’entendre les sons ténus j’ai tourné un oeil vers le haut étourdie j’ai fait saillir un front soucieux une moue exagérée je n’étais pas seule je l’ai regardé s’incliner vers les branches je l’ai écouté il a fait saillir ma peau lisse il a rayonné prospéré pratiqué l’accolade tant de choses semblent s’être passées mais au plus profond de soi on trouve une simple étincelle il a souri après avoir tout regardé il a fait surgir de son cœur des gestes il a transfiguré son visage sa voix a ondoyé si loin rien ne pouvait arrêter sa voix j’ai agité d’une certaine manière mon corps nous sommes je suis tu es près d’un morceau de branche sèche nos noms ne figurent pas sur le bois.
Les titres des ouvrages cités dans le texte sont de Hervé Guibert et d'Eugène Savitzkaya.
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Je comprends le monde est si peu plat, pour que le monde puisse s’ouvrir de l’intérieur, se creuser, pour que je puisse me rendre dans le lointain je veux dire bien au delà du large. Le monde est si peu plat alors le chemin n’est jamais vraiment un chemin les lacis nous fortifient et le pied est parfaitement remué et la vague ne se referme pas non aucun risque car le monde est très peu plat.
Il est un spasme immense maniaque et permanent ses seuils sont glacés il a un sens impérieux et discret avec beaucoup d’obscurité.
J’aimerais descendre dans le monde m’y étendre mesurer l’équilibre de toutes ses forces j’ai une soif de contact charnel j’aimerais y passer mes doigts quoique le monde soit bien trop creusé.
Le monde est paroxystique il retarde le sommeil difficile de trouver un rythme familier face à une telle capacité d’infini tenir au moins le poids d’un oiseau en vol s’accoutumer à l’ennui si terrestre .
Le monde ne vous saute jamais dessus non en effet car le monde est avisé.
Je constate qu’à certains endroits le monde est vraiment trop étroit pourtant je ne néglige point sa nécessité.
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Francis Bacon au fond du jardin somnole il hume le vent il tourne autour des iris autour du citronnier chinois autour des arums autour des digitales Francis Bacon enlace les fleurs grignote l’iris filiforme bleu la bouchée est délicate et froissée l’artiste est aux aguets l’influence du lieu est forte les lupins enlacés subitement il rêve à un traitement plastique virulent le désir excède à peine le drame il défie une profonde impression de présence le heurt le heurt le fourrageur épuise l’iris filiforme bleu l’absence de musculature du corps gracile abrupt et retourné Francis Bacon s’étend à la renverse une lueur d’apothéose dans l’oeil essor d’un rouge incarnadin déferlement fantasque il tourne le dos à une troupe désordonnée qui accourt une bande une bande d’une incroyable vitalité une course, pêle-mêle pêle mêle corps coiffures lunettes vêtements chaussures verres pleins s’emmêlent s'emmêlent se faufilent déboitent un phénomène d’enroulement compresse les corps le délicat et fantasque FB rêve d’un compost de ces êtres brutaux rêve d’éboulement émancipateur euphoriques et armés ils piratent détournent projètent basculent jouent le partage hasardeux autour de l’artiste figent une poursuite sans langueur. Les sentiments de l'artiste sont tapis dans le texte d’un petit billet écrit à la va-vite et jeté sur les digitales « je hais les racines d’une vie le retour sur le passé ne m’intéresse pas je suis couvert de liquides renversés et de poussière mon souffle est emporté cette foule épouvantée bourdonne stupidement autour d’un point fixe qu’ils épargnent leurs forces mon corps est contusionné je quitte ce jardin anglais plein de liesse ma voix n’en sera que plus personnelle. »
Une femme s’isole calmement dans la cuisine et s’installe pour que se manifeste la vision. S’asseyant, elle commence « à manipuler sur ses genoux / des bouts de laine, des chutes de calicot et de velours, / les étendant distraitement sur les planches de bois brossé / à la lumière depe, avec de petits coquillages couleur arc-en-ciel / envoyés dans du coton depuis un endroit lointain, / et des écheveaplus fnes trouvailles – / et le pétale bletunias, / et la dentelle séchée brun foncé des algues ; / sans oublier non plus, la moustache / argentée du chat, / les spirales bouclées du nid de guêpes cartonnières / à côté de la plume jaune du chardonneret. » Une telle « composition n’a rien à voir avec l’éternité, / la quête de la grandeur, du brio – » écrit Adrienne Rich, « mais seulement avec la méditation d’un esprit / unifié avec son corps. »
La poétesse polysyndète : elle pense avec ET ET ET.
Lisant l’« Étude transcendantale » d’Adrienne Rich, dont sont extraits ces vers, je pense aux collectes des bois un peu sorcières que « la couturière » de La Peau du Lynx, un album de Mathilde Poncet paru en 2022, s’applique à assembler. Je pense à son travail « long et difficile » pour préparer l’étoffe protectrice, sa composition bienfaitrice. Calmement, elle recueille, préserve et persévère. Je pense également à la théorie de la fiction-panier développée en 1986 par l’autrice-consœur Ursula K. Le Guin, qui contient « l’autre histoire, celle qui n’a pas été racontée, l’histoire de vie ». Une histoire des jours sans fin qui conjugue et médite.
Je commence là par la matière ; la matière ou la matérialité des mots d’Adrienne Rich. « Begin with the material », dit-elle en juin 1984 dans « Notes Towards a Politics of Location ». Dire le corps solitaire, le petit langage des bouts de laine et de la poussière « réduit la tentation d’affirmations grandioses ». Adrienne Rich s’attache à composer, par la liste commencée, le quotidien de la domesticité assignée pour révéler et augmenter « l’énormité des choses les plus simples » et porter attention aux « formes inachevées, au vies multiples »