,2025 /
les écritures numériques de juin
ATELIER D'ECRITURE CREATIVE
Eau sauvage, variations
Cet atelier propose une nouvelle rencontre avec les étranges récits de Valérie Mréjen. Pirater un texte d’autrice-artiste, écrire un récit personnel en lieu et place des morceaux de textes rendus volontairement absents, estomper les frontières, un texte à nouveau en chemin, que le récit puisse reprendre et continuer à surprendre.
Atelier sous l'emprise du récit EAU SAUVAGE de Valérie Mréjen (Editions Allia), sous l'emprise également d'un dialogue, c'est supposé être un dialogue, mais en réalité on n'entend qu'une voix, qui emplit tout l'espace du texte de questions et de réponses à ces questions, dialogue à une seule voix, le récepteur reste silencieux, monodialogue, monologue. C'est un récit qui répond à ses propres propos, c'est un dialogue qui répond à son propre commentaire. L'atelier propose de créer des variations de ce monodialogue, qui empêche toute installation d'un autre point de vue, de réagir aussi à cette langue du mot commun, du mot banal, de la reformulation maniaque, qui envahit toute la réalité de la langue de L'EAU SAUVAGE. Cette saturation génère un grand monde burlesque. L'atelier propose de monpoliser entièrement cette forme, de remplacer autoritairement ce monodialogue, par un autre monodialogue, singulier à chaque invention de chaque participant.
Jordi un texte de l'atelier
Tu entends ? Je n’entendrai plus parler de vous. Je ne vous verrai plus non plus d’ailleurs. Je pars… Je vais partir à Saint-Lunaire ou aux Nuits-Saint-Georges. Tu comprends je ne peux plus, ce bruit de la ville, ta famille, ma famille, toi. C’est toi surtout, ma chérie. J’étouffe de notre amour. Ça commence à bien faire, ta tendresse viciée. Ne cherche pas, je serai occupé. J’emporte Montherlant. J’écrirai, c’est sûr. Enfin solitaire, fini les attentions, les repas, les lits défaits. Je serai entre quatre murs blancs, au bord de la mer. Tu es là ? Je pars.
Je raccroche. Tu entends ? Je raccroche, je disparais, tu disparais. Je voudrais tant que tu comprennes. Ne crois pas que la décision est facile, j’ai de la peine, c’est sûr. Ne sois pas sourde à cette voix humaine, que tu as trop étouffée. Si tu te tais, je parle. Je raccroche. Mais je voudrais être sûr que tu comprennes. J’ai besoin d’espace, de lumière, de silence. Cette vie parisienne, les mondanités, c’est insupportable une vie pareille. Je devrais te suivre, peut-être. Non, vois-tu, je nous quitte. Je t’embrasse, ma chérie.
Je n’ai rien vu depuis le XX ème, c’est pourtant la montagne à Paris… Saint-Lunaire ? J’ai beaucoup d’amis dans le XX ème. Le cimetière est très beau en cette saison. Nous avons longuement cheminé avec Flavie entre les tombes hier matin. On avait peur de rencontrer M. Merde. Tu te souviens ? Carax. Je te croyais cinéphile... Saint-Lunaire ? C’est en Bretagne, je crois. Je vais raccrocher, les sarcasmes c’est de trop. Je m’inquiète, je prends des nouvelles. Allô ? Comme je te le disais, j’ai beaucoup d’amis dans le XX ème, tu ne peux pas les connaître, tu m’as fait couper les ponts, tu es trop exclusive. Ils sont tous délicieux pourtant, ils te plairaient.
Hugo. Il est charmant, avec son petit nez en légère pointe et sa moustache d’un autre temps. Il a le type de l’éternel étudiant : maîtrise de lettres, licence d’histoire de l’art et master en droit. Il veut devenir avocat, il parle peu. Ce sont ses parents qui parlent à sa place. Il n’a pas cessé de me regarder furtivement pendant le repas. Ses parents pensent qu’il est homosexuel, il s’est fait percer une oreille et il est délicat. C’est un peu léger comme argument. Il me fait penser à toi, ma chérie. Il traîne avec lui l’odeur de vanille moisie des livres anciens. Il finira conservateur de bibliothèque. Quels sarcasmes ? Ne fais pas l’enfant, je raccroche. Allô ?
Un peu comme toi. C’est bien pour ça que je suis parti. Je ne supporte plus les étreintes. J’ai lu la correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus, un gros pavé immonde. Ça se languit langoureusement, ça s’envoie des « n’oublie pas », des « tout demande toi », des « je suis à toi ». Je suis si léger de n’être à personne, de n’être pas attendu, de rentrer seul. Quand je vois ces couples… Ils se pendent l’un à l’autre et se traînent dans toutes les rues. Soyons heureux, nous avons pris la bonne décision. Tu ne veux pas décrocher ? Tu n’es pas à la maison ? Je te rappelle ce week-end, ou rappelle-moi dès que tu as ce message.
J’imagine que tu es très occupée, tu ne donnes plus de nouvelles. Je suis moi-même très occupé, j’écris. Je prends la peine de t’appeler. Puis la pluie, le vent, le froid, ça me fait penser à Saint-Lunaire. Ça me fait penser à toi. Tu sais que je déteste le vent, c’est le bruit, ça chauffe les oreilles. Heureusement, les arbres nous couvrent. J’espère que tu auras ce message, j’ai l’impression que ça grésille. Dis, rappelle-moi. Si tu ne me rappelles pas je penserai que tu n’as pas reçu mon message. Je te téléphonerai mardi.
Tu ne décroches pas ? Si tu es là, réponds-moi. Tu ne peux pas couper comme ça, abruptement. Et si tu prends une décision, il faut me le dire. Puis j’ai de la fièvre. 38,7°. Je ne peux pas me déplacer. Tu ne voudrais pas aller à la pharmacie de garde prendre du paracétamol ? Je suis toujours dans le XX ème, pas loin de chez toi. J’ai un mal de tête… La vie parisienne, tu vois, ça ne me va pas. Ou c’est Montherlant peut-être. Ou c’est toi. Tu ne décroches pas ? Écoute, ma chérie, je vais dormir, ça me fera du bien. Je te rappellerai après ma sieste.
✦
les écritures numériques de mai
ATELIER D'ECRITURE CREATIVE
Plus près du cosmos
Se tenir sous un ciel étoilé, qu’est-ce que cela fait ? Est-ce que cela happe immédiatement ? Est-ce que l’on arrive encore à ressentir le souffle du cosmos nous traverser ? Evidemment aucune transcendance n’est ici convoquée, mais éprouver un sentiment simple et solennel de porosité dans la présence au monde, qu’est-ce que cela fait, qu’est-ce que cela est ?
Attention atelier sous influence : Claude Simon, Orion Evadé d'Archipel, Aromates chasseur de René Char, la désidération (désir et manque des étoiles) de SMITH artiste-chercheur, contemplation de deux photographies de SMITH.
Merci aux participants-translucides.
.
Parfois, il arrive qu’on puisse lire dans la voûte étoilée les réponses qu’on attendait. Une forme atypique vient provoquer en nous une joie qu’on ne saurait expliquer. Comme en enfance, on s’amuse de cette naïveté retrouvée, de ce quelque chose qui nous paraît si absurde en cet instant mais si salvateur. Des émotions rares, oubliées parfois enfouies s’invitent et décuplent un sentiment d’immensité intérieure, de pouvoir absolu sur l’univers entier. Les possibles se conjuguent alors pour nous donner l’illusion un instant que le monde nous appartient, que là réside l’essence même de la vie, dans ce cosmos où mille et une formes diverses et variées s’expriment pour nous répondre.
.
La nuit palpite
L’obscurité bruisse
Le cosmos respire
Les étoiles dansent
L’air se froisse
La marmotte ronfle
Le ciel s’ouvre
La terre tourne
Je tremble
Mes idées scintillent
insaisissables elles brillent
dans le noir sidéral
Ici
Peut-être
Là
L’horizon cosmique
étoile ma pensée
je souris à la nuit
Bientôt
Jamais
Infini vertige
Pollen au vent
Constellations
De printemps
Rêve
Poésie stellaire
Irréductible
.
Je ne regarde plus le ciel étoilé, seulement entre, seulement sur le trajet, entre la porte de la maison et le portillon du jardin, au moment de quitter, au moment des adieux. Furtivement, quand je ferme le portillon, je lève les yeux, quand je ferme le portillon, mon mouvement est arrêté alors que je lève les yeux vers le ciel étoilé, je me le rappelle, je l’aimais. Autrefois chaque nuit d’été, comme une hypnose, au bord du bassin de la piscine, toutes les nuits, au bord de l’onde noire, je marchais. L’onde noire en bas, en haut le ciel étoilé, je marchais sous le ciel de nuit, je me le rappelle, je marchais, je construisais des mondes, je les habitais. J’habitais la nuit, j’habitais l’onde, j’habitais le monde sidéré. L’été c’était la nuit et la nuit les étoiles, les étoiles c’était l’été au village, les lumières de la fête, le vertige des attractions, un mouvement de cœur soulevé, une force de gravité spéciale : le ciel de nuit qui aimante, le ciel hypnose, le ciel étoilé, lointain étoilé. Je me souviens des chansons d’été, des chansons adolescentes de l’été, d’un aveuglement placé sous le signe sidéral, cet aveuglement adolescent, quand on croit encore, avec une tristesse vague, sans objet, cette tristesse adolescente placée sous le règne sidéral : quand je suis aveuglé et triste, il me reste toujours dans les yeux les étoiles, la nuit, les chansons, l’onde, les mondes sidérés. Ce soir, je ne suis plus aveuglé cependant, ce soir, je suis aveugle, je suis aveugle et sourd aux signes des étoiles, je ne regarde plus le ciel hypnose : une forme de sagesse atteinte, sans sidération, sans gravité. Au moment des adieux cependant, au moment de quitter, quand je ferme le portillon du jardin, mon mouvement est arrêté, je lève les yeux, mon mouvement est arrêté…
Textes de Fouzia Manon et Jordi
✦
les écritures numériques de mars
ATELIER D'ECRITURE CREATIVE
Un conte certainement
Qu’est-ce qu’un conte ? C’est un récit, c’est un récit qui renferme de la sagesse de la vérité de la perplexité, qui raconte une expérience. Le conte intègre souvent une dimension allégorique, poétique, distanciée.
On connait toutes et tous des dizaines de contes, ils ont rythmé notre enfance, ont agrandi notre imaginaire. Ils ont consolé, réparé. Leur récit se situe souvent dans un passé très lointain. Ils ont une fonction d’éducation et de questionnement face au monde, à l’altérité, à la société.
Les contes s’emparent aussi de préoccupations philosophiques, donc universelles, c’est ce qui en fait leur force, leur beauté, leur intégrité, leur fort pouvoir d’enchantement et de désenchantement.
Normalement un conte évoque immédiatement une structure : des personnages typiques, des êtres idéalisés, des figures mythiques ou mythologiques, des animaux humanisés, des princesses, des princes, des lieux typiques : la forêt, la fontaine, la nature sauvage, la frontière… Ils investissent des valeurs nobles et des valeurs négatives, ils les mettent en tension dans leurs récits.
Et il y a de la magie, tout peut se réaliser dans un conte, y compris le pire.
Ce qui est proposé dans cet atelier, c'est de se rapprocher de la forme du conte mais en l’éprouvant avec le très contemporain des sociétés actuelles.
Faire en sorte que le conte le récit se saisisse d’éléments d'objets techniques, technologiques, de personnages qui vivent et agissent dans cette société.
Cela n' empêchera pas d’intégrer la dimension magique si on le souhaite, hum, on peut penser par exemple à la réalité augmentée.
Proposition d'écriture traversée par les lieux archaïques et contemporains de l'artiste Pat Andréa, la réflexion philosophique d'Eric Sadin - La vie spectrale : penser l'ère du métavers et des IA génératives, Grasset, 2023 - , Verte et les oiseaux un conte de Pinar Selek, traduit du turc par Lucie Lavoisier, paru aux Editions Des Lisieres, 2017.
Merci au participantes-translucides
.
Vous qui croyez rêver, en êtes-vous si sûr à cet instant ?
Après tout, les objets, les formes que vous voyez ne diffèrent en rien de ce que vous avez observé la veille. Une pièce aux dimensions conventionnelles, une table sur laquelle sont jetés pèle mêle toutes sortes d’objets, magazines, crayons, bloc de dessin, une chaise dont l’assise témoigne de sa vétusté…en somme, un mobilier d’une banalité ordinaire... Pourtant, quelque chose sonne faux. Une dissonance à peine perceptible au regard mais que votre esprit a détectée. Cette anormalité, vous la pensez absurde alors comme à votre habitude, vous l’écartez d’un revers de main comme un détail insignifiant. Seulement, il revient le détail… Il persiste, s’incruste comme un grain de sable qui peut à tout moment vous faire basculer. Mais de quel côté ? Vers une folie productrice et créatrice ou bien celle tant redoutée, où l’effroi s’invite, démultiplie les réalités, vous décompose en d’infimes poussières. Ce détail est-il seulement l’œuvre de votre esprit ou n’est-ce simplement qu’une illusion ? Vous cherchez, tentez de comprendre tout à votre rationalité mais rien n’y fait. Progressivement, la pièce se dérobe, les objets que vous fixez avec insistance semblent s’animer, se mouvoir, réagir à votre regard comme un appel. Vous penchez la tête, jetez un regard à travers une fenêtre proche. Dehors, rien d’anormal. La vie s’écoule. Des gens discutent, d’autres déambulent mais soudain, tous les visages se tournent vers vous et vous fixent. Vous vous écartez pris subitement d’une angoisse. Le monde vous regarde. Par monde, entendez toute particule constituant l’univers. Vous ne pouvez échapper à quiconque, ni même à vous-même. La peur est là, présente en vous, vous signifiant votre vulnérabilité. Vous fermez les yeux conscient que quelque chose se joue de vous, que rien ne sert de fuir. Alors, lentement, vous ouvrez les yeux et vous saisissez d’un bloc de dessin et d’un crayon. Conjurer la peur, la transformer en une beauté ardente, l’apprivoiser, la sublimer, en faire une amie, voilà votre réponse.
Texte de Fouzia
✦
les écritures numériques de janvier
L' ATELIER FURTIF
une écriture collective qui avance en collectant
texte composé à dix mains - extrait
L'enfant avait terminé et lut à haute voix ce qu'il avait écrit : « Comment je me figure une vie plus belle - J'aimerais qu'il ne fasse ni chaud ni froid. Il faut qu'il souffle toujours un vent tiède, parfois il y a une tempête contre laquelle il faut s'accroupir. Les autos ont disparu. Les maisons seraient rouges. Les buissons seraient de l'or. On saurait déjà tout et on n'aurait plus besoin de rien apprendre. On habiterait sur des îles. Dans les rues les voitures restent ouvertes et on peut s'y mettre quand on est fatigué. Mais on n'est plus fatigué du tout. Les voitures n'appartiennent à personne. Le soir on reste debout. On s'endort là où on est. Charles écouta, puis prit la feuille des mains de l’enfant. Il commença à inscrire des mots lui aussi, Charles adore les listes, alors il se mit à créer une liste, une liste un peu rédigée par endroits, c’est le style de Charles, il souriait en écrivant, il regardait par dessous ses lunettes l’enfant, puis il revenait à sa liste :
filer droit
diviser certaines choses par deux
multiplier multiplier multiplier les buissons en or
un vers d’un poète irlandais
« jette un regard froid, cavalier, passe ton chemin. »
les fourmis rouges deviennent petit à petit très jaunes, très étincelantes, elles décident d’aller s’installer sur la lune, dans les rues elles cherchent des fusées ouvertes, prêtent à décoller
sur les îles d’affreux gratte-ciels se mettent à pousser mais on ne laisse pas faire, on envoie illico le lutin qui s’appelle New-York tout manger et avaler, le vent tiède peut à nouveau souffler tranquillement
à l’intérieur des maisons rouges on entend tout et les morceaux de murs s’éloignent et reculent à leur guise
on peut faire garder ses parents il suffit d’aller voir Huche qui s’en occupe
mais Huche vient de partir à Toc-Toc-Ville récupérer quelques parents
un tamanoir s’installe dans une voiture au coffre grand ouvert, quelques bébés chiens aux couleurs du tamanoir le rejoignent, aucun comportement sauvage à déplorer, puis le tamanoir se multiplie par vingt, alors les bébés chiens quittent la voiture et s’endorment soudain là où ils sont. (...)
Merci à Peter Handke pour les six premières lignes de ce texte, extraites de l'ouvrage A ma fenêtre le matin - Carnets du rocher 1982-1986 - traduit de l'allemand (Autriche) par Olivier Le Lay, collection Der Doppelgänger, éditions Verdier, 2006.
Merci à Laurence participante-translucide, pour la publication de son extrait